Sud-Ouest : « Le maître mot de notre époque, c’est l’agilité »
AT Internet mesure l’audience sur Internet et analyse les données depuis vingt ans. Dans l’univers de la data, elle résiste aux géants américains. Alain LLorens, le fondateur de la société, témoigne
« Sud Ouest éco ». Comment avez-vous commencé ? Quelle était votre idée de départ ?
On récupère des données, on les traite et on les met à disposition des entreprises
Alain Llorens. J’étais économiste de formation et parisien. J’ai démarré dans le BTP et me suis très vite passionné pour ce monde du numérique naissant, car la page était blanche. Nous avons d’abord conçu les premiers portails Internet français comme Douce France ou Hit Parade, à destination du grand public. J’ai tout de suite senti que la problématique de la mesure de l’audience allait devenir centrale. Nous avons mis au point un système de mesure pour permettre de gérer les sites. On a tout misé dessus. À l’époque, Internet n’était même pas enseigné à l’Université. On faisait des sites web pour assurer le chiffre d’affaires. Cela nous était très utile pour connaître les problématiques de communication de masse et de gros trafics. Et nous avons développé Xiti, un logiciel d’analyse digitale. On récupère des données, on les traite et on les met à disposition des entreprises et des organisations pour qu’elles puissent les gérer, les hiérarchiser et les traiter à leur guise.
Le digital est révolutionnaire car on gérait jusque-là les seules données comptables. Aujourd’hui, nous savons, dans l’heure, si une campagne de pub mise en ligne est bonne ou pas. Nous avons lancé Xiti au Cnit (Centre des nouvelles industries et technologies) à la Défense. Mon fils Matthieu nous avait rejoints suite à une agrégation de lettres. Le 4 septembre 2000, il a pris la parole devant un parterre de professionnels de la mesure d’audience, un marché naissant. Xiti a tout de suite été adopté.
Comment avez-vous financé votre développement ?
Souvent, nous avons eu une idée le matin, mise en œuvre le jour même. Cela ne marche pas avec la Bourse
En 2000, on était dans la bulle Internet. Nous avons pris le chemin de la Bourse comme tout le monde. Un prestataire nous y a aidés. Il m’a demandé de donner des précisions à moyen terme et de prendre des engagements sur un marché dont personne, absolument personne, ne pouvait dire comment il allait évoluer. J’ai dit que je ne pouvais pas le faire. Je suis le seul qui a payé cette prestation pour ne pas aller en Bourse. Sur des métiers nouveaux, où l’agilité est la règle d’or, il n’est pas possible d’établir de tels scénarios. Souvent, nous avons eu une idée le matin, mise en œuvre le jour même. Cela ne marche pas avec la Bourse. En faisant appel à des investisseurs institutionnels locaux, régionaux, avec qui nous sommes toujours associés, nous avons fait le choix de la confiance et de la durée. Nous avons ensuite élargi le champ avec des capitaux développeurs nationaux, dont les logiques sont différentes. On est des gens du terroir ici. Pour faire grandir une entreprise, il faut du temps. Qui n’est pas celui de la Bourse.
Qu’avez-vous fait de vos résultats ?
Nous n’avons pas besoin de marketing extravagant pour trouver des clients en leur jouant de la mandoline
Depuis le début, nous avons considéré que les gens devaient nous trouver sur Internet. Et que nous n’avions pas besoin de marketing extravagant pour trouver des clients en leur jouant de la mandoline. Nos produits doivent parler pour nous. Nous sommes des gens de la mesure. Cela doit marcher 24 heures sur 24, 365 jours par an, dans le monde entier. Sinon, nous sommes éjectés. Nous avons donc en permanence réinvesti nos profits dans nos solutions pour qu’elles restent au top. En revanche, il a toujours été difficile de recruter. Cela progresse un peu aujourd’hui avec les écoles. Mais nous formons toujours nos collaborateurs. Comme au début. On vient chez nous de partout, en France et de l’étranger. Nous avons deux bureaux en Allemagne.
On suit désormais nos clients qui vont en Chine, en Allemagne, aux États-Unis. On vient de signer un très bon contrat avec un gros opérateur ferroviaire européen. La presse à Singapour ou en France, avec TF1… L’usine connectée offre un gros potentiel de développement. Nous mesurons des données, les formatons et les donnons à disposition des clients avec des garanties uniques de fiabilité. Ils peuvent les croiser avec d’autres paramètres qui leur sont propres. Aujourd’hui, une petite poignée d’entreprises, qui ne sont pas européennes, en ont le monopole de traitement. C’est quand même un gros souci !
A-t-on déjà tenté d’acheter AT Internet ?
Notre principal concurrent, c’est Google
Oui, mais nous n’avons jamais ouvert la porte à la négociation. Nous voulons conserver une entreprise en Europe capable de traiter ces données stratégiques. Tout le monde parle de digital, mais rares sont ceux qui se soucient de ce problème clef de notre indépendance à venir. Les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon, NDLR) nous dominent. Les médias souffrent de voir leur marché publicitaire phagocyté par ces entreprises.
Notre principal concurrent, c’est Google, qui développe chaque jour son monopole sur de nouveaux pans de l’économie digitale. Aujourd’hui, vous achetez de la pub sur Google et c’est lui qui mesure son impact. C’est à peine croyable. AT Internet est indépendante. Nos clients le savent.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile au cours de ces vingt ans ?
Je suis un passionné d’Afrique et de désert. C’est juste dur tout le temps. Soit vous avez une tempête de sable, la cheville en feu, un chameau malade ou plus d’eau. Dans la conduite d’une PME, c’est un peu la même chose. La clé, selon moi, c’est l’agilité, toujours l’agilité, encore l’agilité. Le maître mot de notre époque est celui-là.
Alain Llorens préside AT Internet, un spécialiste mondial de la data, qui pèse 20 millions d’euros de chiffre d’affaires et emploie 250 salariés